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L'effondrement des populations d'insectes : Un mauvais présage pour l'avenir

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L'effondrement des populations d'insectes : Un mauvais présage pour l'avenir
Il y a quelques semaines, notre rédaction s’intéressait à un article évoquant l’effondrement des populations d’insectes en France. Une observation s’appuyant sur le livre du britannique Dave Goulson, qui explique pourquoi nous ne pourrons pas survivre sans insectes, leur disparition rendant la planète invivable pour les humains. Nous nous sommes entretenus avec Frédéric Mora, directeur scientifique au sein du Conservatoire botanique national de Franche-Comté - Observatoire régional des Invertébrés, pour creuser ce sujet.

 

Bonjour monsieur Mora. Dans un premier temps, peut-on dresser un état des lieux en France, et dans notre région, concernant les populations d’insectes ? Comment se portent-t-elles ?

C'est une vaste question. Toutes les espèces ne font pas l'objet de suivis. On a des espèces qu’on connaît relativement bien parce qu'on sait qu'elles sont menacées, et du coup on a un peu plus de recul sur l'état de conservation de leur population. Au niveau national comme au niveau régional, on constate un déclin assez marqué pour certaines espèces, notamment les espèces spécialistes. Par exemple celles des milieux humides, des tourbières, marais, etc. Mais également les spécialistes de milieux secs, donc tout ce qui est pelouse. Et de manière plus générale, concernant les autres insectes, on a un peu de recul grâce à des études scientifiques qui ont mesuré l'état des populations via des dénombrements ou des calculs de biomasse. On s'aperçoit que même chez les insectes courants, qu'on peut considérer comme relativement classiques, on constate des baisses d'effectifs assez conséquentes.

 

Quels types d’insectes par exemple ?

Les études qui ont été conduites typiquement portaient sur des insectes de prairie, et on a pu constater des baisses assez importantes de biomasse et d'effectif chez les hyménoptères. Tout ce qui est guêpes, abeilles, etc. Mais aussi les diptères, tout ce qui est mouche, des insectes assez classiques, chez qui on devrait attendre des effectifs assez conséquents. Et on se rend compte que même dans des milieux qui paraissent assez préservés, on a quand même un impact de l'activité humaine avec des baisses d'effectifs.

 

Les insectes sont souvent réduits à peu de chose, ils sont minuscules, on a parfois cette image de parasites, mais leur rôle est fondamental, les écosystèmes ne seraient rien sans eux.

Clairement. Et les insectes qui sont susceptibles de poser des problèmes à l’homme, à ses cultures, c'est finalement une part infime. Il y a très peu d'espèces qui sont susceptibles d'occasionner des dégâts. La grosse majorité des autres espèces joue un rôle fondamental, que ce soit dans les phénomènes de décomposition de matière organique, comme la fertilité des sols, typiquement si la matière organique n'était pas décomposée, ça pourrait poser des problèmes avec des accumulations. Les rôles sont partagés avec les champignons et les bactéries, mais les insectes sont nécessaires, il suffit de regarder ce qu'il se passe en forêt. Vous enlevez les insectes décomposeurs du bois mort et on aurait des accumulations très conséquentes avec des problèmes de régénération forestière. Il y a aussi tous les pollinisateurs, on en parle beaucoup. Ces insectes jouent un rôle dans l'alimentation humaine, basée sur beaucoup de produits qui sont liés à ce rôle fonctionnel de la pollinisation. Et de manière plus large, l'équilibre des écosystèmes. Il faut qu'on ait des écosystèmes relativement équilibrés, avec à la fois des prédateurs mais aussi des proies. Et les insectes jouent un rôle fondamental, notamment pour le nourrissage de nombreuses espèces.

 

Comme vous le soulignez, les insectes constituent la nourriture de très nombreuses espèces, rendent des services écosystémiques, pollinisent, aèrent et assainissent les sols, recyclent, contrôlent aussi d’autres insectes considérés comme nuisibles. Chaque insecte a vraiment sa place. L’effondrement des espèces risque de bouleverser tout cet ordre bien établi ?

Sans même se projeter sur l’avenir et de parler de catastrophe, actuellement les insectes sont des indicateurs de la qualité du milieu qui nous entoure. Et on fait clairement partie intégrante de ce système, c’est-à-dire qu’on ne doit pas s’en exclure. On fait partie de ce système, et quand on commence à voir des régressions assez marquées chez les insectes qui sont nos voisins, ce n’est pas très bon signe pour l’avenir.

 

Les conséquences de cet effondrement sont-elles déjà visibles ?

Visibles, oui. Ne serait-ce que dans la simplification des cortèges. Il y a des espèces qui étaient autrefois relativement classiques, je prends l’exemple des papillons diurnes. C’est un groupe qui parle assez au grand public. J’ai la chance d’avoir pu côtoyer certains entomologistes assez âgés, qui avaient l’habitude d’aller régulièrement sur certaines stations. Et cet effondrement, ils l’ont constaté de visu.  Ils m’expliquaient qu’il y a 30, 40 ans en arrière, ce n’était pas juste quatre papillons qu’on voyait dans la journée, mais plusieurs dizaines, voire plusieurs centaines. Ce phénomène est perceptible à l’échelon d’une génération, ce qui montre que c’est assez rapide. On a aussi des phénomènes de remontée en altitude. On a certaines espèces de papillons, comme l’Apollon, qui autrefois en Franche-Comté, descendaient jusqu’au premier plateau. Actuellement, cette espèce a complétement disparu des zones les plus basses, et ne se cantonne plus que dans les zones d’altitude. C’est aussi en lien avec le réchauffement climatique. On voit qu’il y a des désordres qui se traduisent de manière assez forte et qu’on arrive à percevoir. Après, de manière plus large, je prendrais l’exemple des écosystèmes aquatiques. Il y a tout un tas d’insectes, les perles, les éphémères, les phryganes, etc, qui autrefois présentaient des populations beaucoup plus importantes dans nos rivières. Et aujourd’hui, dans pas mal de cours d’eau, quand on soulève un caillou, il n’y a pas forcément grand-chose. Certaines espèces sont encore présentes, mais avec des densités beaucoup plus faibles qu’on a pu connaître.

 

Peut-on agir à notre niveau ?

Nous sommes tous responsables individuellement. C’est sûr que certains phénomènes nous dépassent, quand on voit les chiffres assez alarmants sur le réchauffement climatique. Réduire notre consommation d’énergie fossile peut être un premier pas. Concernant l’eau c’est la même chose. On parle beaucoup de régression de zone humide et de problème d’alimentation en eau. Si on essaye d’être un peu plus économe chacun individuellement, c’est un premier pas. On peut par exemple utiliser de l’eau de pluie pour arroser les plantes à la place de celle du robinet. Ça peut paraître comme des solutions légères par rapport à ce qu’il se passe à plus haute échelle, mais c’est un premier pas. Après, c’est vrai qu’il y a des solutions collectives beaucoup plus urgentes. Ne serait-ce que de laisser des zones de quiétude, des bandes tampons autour des cultures, ce genre de chose peut tout de suite avoir un impact positif sur les populations d’insectes. Mais chacun peut, à minima, se sensibiliser sur cette problématique de perte de biodiversité. Ça concerne tout le monde. Et après on peut aller jusqu’à s’impliquer dans des programmes de suivi d’espèce, c’est aussi quelque chose de très utile. Il y a pas mal d’associations naturalistes qui travaillent sur les suivis de papillons, de libellules, etc, pour essayer de mieux comprendre ce phénomène de régression. L’investissement personnel peut aussi passer par ça.