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Le sujet du loup fait couler beaucoup d’encre depuis quelques mois. A leur plus grand regret, les associations de la protection de la nature et de l’environnement se sentent exclues du dialogue. Souhaitant la protection du loup, elles tiennent aussi à protéger les éleveurs. Nous nous sommes entretenus avec Gilles Benest, président de France Nature Environnement Doubs, et biologiste.

 

En ces temps délicats, quel est le positionnement de France Nature Environnement Doubs concernant le loup ?

Pour nous ce n’est pas délicat si le dialogue peut exister. Nous voulons que le loup perdure. C’est un animal indispensable par son rôle écologique à la biodiversité que nous défendons tous. Et quand je dis tous, je comprends tous les citoyens. Evidemment, nous tenons aussi à ce que cela soit fait avec la profession d’éleveur, dont nous souhaitons qu’elle perdure.

 

Comment expliquer ces attaques survenues récemment ?

D'abord, je n’utiliserais pas le terme « attaquer », mais « prédater ». Les prédations sur les bovins sont connues depuis déjà longtemps, dans les Alpes en particulier. On n'y a pas accordé beaucoup d'attention. Le loup se nourrit avec ce qu'il a sous la dent. Peut-être parce qu’on ne le gêne pas trop vis-à-vis du détail, mais aussi parce qu’on n’est pas assez préparé alors qu'on savait depuis longtemps que ça arriverait. Le bétail sauvage que sont les cerfs, chamois, chevreuils dont il se nourrit aussi, représente l’essentiel de son régime alimentaire, quasiment 80%. Le loup n'attaque pas pour le plaisir. Il prédate quand il a faim, c'est un chasseur. C'est un comportement tout à fait naturel, et comme beaucoup de prédateurs, il va où y a quelque chose à manger. Il n'y a rien de plus naturel dans ce comportement de prédation du loup.

 

Vous comprenez aussi toute la détresse de ces éleveurs qui perdent leurs bêtes ?

J’en ai rencontré, et je suis suffisamment amoureux des animaux, qu’ils soient domestiques où sauvages, pour comprendre les éleveurs. Je pense deux choses. La première, c'est qu’effectivement quand vous êtes éleveur, quand vous soignez vos bêtes, votre troupeau, matin midi et soir, douze mois par an, et quand il y en a une qui est blessée ou tuée, ça chamboule le cœur. Ça c'est évident. Non seulement je comprends, mais d'une certaine manière je partage. Là où je suis un petit peu plus réservé, c'est qu’on n'a pas mis en place les mesures de protection du troupeau. On sait un certain nombre de choses, si ces mesures-là étaient mises en œuvre, ça poserait déjà beaucoup moins de problèmes. On ne serait même pas à 20 bêtes tuées cette année.

 

Quelles sont ces solutions ?

Pour ces gros animaux que sont les bovins, on a des progrès à faire, mais c'est à inventer ensemble. Entre les éleveurs et nous-même. Par ailleurs, les chiens sont parfaitement efficaces, et on sait très bien aujourd'hui comment les adapter aux troupeaux de bovins. C'est faisable très rapidement, et on n'a pas besoin de tous les protéger, on sait où est le loup, on peut dans un premier temps protéger ces troupeaux qui présentent le plus de risques d'être exposés.

 

Quand vous parlez des chiens, vous évoquez les patous ?

Entre autres, ce n’est pas le seul. Mais effectivement, c'est celui auquel on pense toujours en premier.

 

Ces chiens sont parfois très agressifs, on recense quelques attaques sur des touristes, randonneurs ou promeneurs. Comment faire sur un territoire où le tourisme est très présent ?

Le loup est souhaité par la société tout entière. Je le dis dans ces termes-là, parce qu'il bénéficie d'une mesure de protection réglementaire qui a été fixée par la nation. Donc toute la société est engagée. Ce qui veut dire que la préservation du loup et son maintien durable sur notre territoire, sont à prendre en charge par toute la société, et pas simplement les victimes. Les victimes, il y en a effectivement deux pour l'instant : les éleveurs bien évidemment, mais aussi les touristes et les promeneurs. Comme ça se fait déjà, un touriste qui se retrouve face à un ours ne doit pas avoir n'importe quel comportement. Il faut qu'il apprenne. Le touriste, face au patou qui doit défendre son troupeau, doit aussi apprendre à se comporter correctement pour ne pas être agressé. C'est vraiment un travail global qui doit être fait. L'éleveur doit apprendre à gérer son chien, et le touriste doit être prévenu et informé quand il va dans ces secteurs.

 

Vous trouvez qu’on ne s’est pas assez préparé dans notre région, alors qu’on aurait pu anticiper cette situation ?

On savait depuis une bonne dizaine d'années qu'on aurait ces problèmes-là en Franche-Comté. On n'a rien fait. On prend des décisions aujourd'hui dans l'urgence, alors que si on avait pris des dispositions anticipées, il n'y aurait pas du tout les mêmes problèmes. Je fais une comparaison avec la santé. Aujourd'hui on a le choix sur le plan médical entre le préventif et le curatif. Pendant des années on a choisi le curatif. Le résultat ? On a un système de santé qui explose et aujourd'hui on essaye de s'orienter vers le préventif. Et c’est par exemple le cas des vaccins. La grippe c'est ça. Les surveillances pour les cancers du sein pour les femmes, c'est ça. C'est du préventif. Il faut en faire autant avec la nature.

 

Face à ce manque de préparation, vous trouvez donc qu’on réagit trop radicalement, comme l'abattage de cette louve au mois de septembre, qui ne résoudra finalement pas les problèmes rencontrés par les éleveurs ?

Absolument, et dans le cas du loup c'est flagrant. On tire n'importe quoi, n'importe comment. Une thèse récente a été tenue à Montpellier dans une de nos grandes instances universitaires. Elle a démontré, lorsque l’on fait le bilan de tous les tirs qui ont été faits en France face au loup, qu’on ne peut pas prévoir si les résultats seront favorables, défavorables ou neutres. Le fait que ce soit une louve qui avait déjà porté, montre que c'était probablement une femelle dominante. Probablement, je reste prudent. Si vous vous débarrassez de la femelle dominante, vous désorganisez la meute, et vous accentuez les effets de prédation. C'est ce qu’il s'est passé. On a eu le calme pendant une dizaine de jours, et puis ça a recommencé.

 

Alors comment se comporter désormais ?

Si on veut amener le loup à ficher la paix aux troupeaux sans le tuer, il faut qu'on connaisse parfaitement les meutes, la hiérarchie, il faut qu'on identifie les individus. C'est ce que font les Suisses sur Marchairuz par exemple. A ce moment-là, vous pouvez savoir sur quel loup il faut agir pour que la meute ne vienne plus vers le troupeau. Ça on ne le sait pas aujourd’hui, parce qu’on n’a pas anticipé. Alors qu’on sait depuis plus de 20 ans que le massif du Jura serait un territoire de colonisation du loup.

 

"Le loup est un animal qui est protégé par la France et protégé par l'Europe. C'est vraiment la société tout entière qui doit prendre en charge. Il faut que nous soyons tous ensemble solidairement avec eux, pour que les choses se passent bien qu'on prenne les bonnes mesures"

 
Ce sujet a fait couler beaucoup d’encre ces derniers temps. Il y a eu des échanges, réunions, des temps de dialogue. Aujourd’hui, vous dénoncez cette exclusion, et vous regrettez de ne pas faire partie de ce dialogue ?

C’est beaucoup plus ambigu que ça. Mais vous évoquez sans doute la grande réunion qui s’est tenue à Labergement-Sainte-Marie le 3 octobre dernier. Il y avait du monde dans la salle. En bonne démocratie et surtout en bonne transparence, les médias auraient dû entrer et entendre ce qui a été dit. J’y étais aussi avec quelques amis. Quand on regarde dans la salle, tout le monde était venu pour le loup. L'après-midi, il y a eu une visite de terrain faite pour les éleveurs, et nous n'en avons pas été informés. Ce qui veut dire que nous en avons été exclus. Il y a eu d'autres réunions comme ça où nous avons été exclus. On nous invite de temps en temps, mais pas pour ce qu’ils considèrent comme les moments importants.

 

Si vous êtes invités prochainement, vous participerez à ces discussions ?

Absolument. On avait envoyé un communiqué de presse la semaine dernière. On va continuer à communiquer et à demander ça. Nous ne voulons pas être complices, mais nous voulons être acteur à part entière, comme les autres. Nous ne demandons pas que notre parole, seule, soit imposée à tout le monde. Nous sommes des citoyens respectueux de la démocratie, et nous souhaitons simplement que les décisions prises soient des décisions partagées.

 

Surtout que vous êtes dotés d’une certaine expertise en la matière ?

On reste une petite fédération départementale, mais nous bénéficions du réseau France Nature Environnement. Par ailleurs, la fédération nationale est un des membres actifs du comité de pilotage du plan national loup. Notre fédération nous y représente, nous raconte un certain nombre de choses, et nous l’informons de ce qui se passe chez nous. On peut apporter des idées, qui d'ailleurs pour beaucoup sont proposées depuis longtemps. Même s'il y en a encore d'autres à inventer par rapport aux bovins.

 

Comment gérer le cas du loup sur le volet économique ?

Nous sommes des citoyens, nous savons très bien ce qu’est l’économie, le porte-monnaie familial et le porte-monnaie professionnel. Nous savons très bien que la gestion du loup, l’acceptation du loup, sur le plan économique, ne représente pas forcément des fortunes, mais ce n’est pas neutre non plus. On conçoit tout à fait que les efforts que nous sollicitons auprès des éleveurs ne soient pas si simples que ça. Mais c’est un effort collectif, puisque c'est la nation qui l'a choisi. Et nous, nous allons au-delà de ça. Nous avons des propositions alternatives qui permettraient économiquement aux éleveurs et à toute la filière comté de bénéficier de la présence du loup. C'est un changement d'attitude important. On ne se contente pas de dire qu’on veut le loup, et puis l’éleveur, débrouille-toi. Non, on n'est pas comme ça. Le loup on le veut, et c’est vrai que les éleveurs en supportent fortement les conséquences. Donc on veut les aider. Ça veut dire être solidaire sur le plan économique, il y a des aides financières de collectivité, et ça veut aussi dire réfléchir avec eux à une démarche économique qui intégrerait le loup.

 

Vous leur avez déjà soumis ces propositions ?

Oui dans le principe général. Ça fait deux ans que j’ai rencontré le CIGC. Ils le savent, ils me traitent de petit rigolo, mais ça ne me dérange pas. Je peux comprendre, parce que je ne suis pas dans les contraintes économiques qui sont les leurs. Je comprends leur positionnement. Mais ce que je dis, c'est que le loup est la réponse pour régler le problème du loup, économiquement parlant.

 

C’est-à-dire ?

Le loup crée une situation qui est une opportunité pour cette évolution de la pratique d'élevage sur notre territoire. C'est un sacré stimulant. Pour l'instant, un certain nombre de gens considèrent que c’est un emmerdeur. Mais il faut transformer cet emmerdeur en avantage. Nos propositions vont dans ce sens-là. C’est l'opportunité pour que les propositions que nous avons faites, doivent être réfléchies en commun, discutées en commun et mises en œuvre en commun. Je suis toujours dans cette logique de partenariat collectif. Mais ne partons pas du principe, comme l’a fait la présidente de la FNSEA, du principe « zéro attaque ». Ça n’a pas de sens. Concernant les insectes qui détruisent les cultures, les agriculteurs ont réfléchi il y a 30 ans déjà, non pas au zéro dégât par des insectes, champignons ou autres. Ils ont réfléchi au minimum économiquement acceptable. Ça change tout comme point de vue, ce serait intéressant qu’on fasse ça avec le loup aussi.

 

Tout passera par le collectif selon vous ?

Oui, c'est toute la société qui concernée, ce ne sont pas seulement les éleveurs. C'est vrai qu'ils sont en première ligne, mais l’éleveur n’est pas de la chair à canon. Pas du tout. Je l’ai déjà dit au président de la FDSEA, je suis reconnaissant parce qu’ils me nourrissent. Et le fait qu’ils me nourrissent me libère du temps pour faire d'autres choses. Et je le redirais sans aucun problème, parce que je le pense sincèrement. Il ne faut pas réfléchir à l'éradication du loup. Si il est protégé, ce n’est pas simplement parce qu'il était en fragilité à un moment donné. C’est aussi parce qu'il a un rôle très important dans le fonctionnement des écosystèmes pour la contribution à la biodiversité. C'est un des éléments de réponse à l'érosion de la biodiversité qui nous concerne tous.  

 

Comment protéger le loup tout en préservant les élevages ? Une question épineuse qui anime vivement les débats en ce moment dans le massif du Jura. Ce lundi 3 octobre, un rassemblement très attendu s’est tenu du côté de Labergement-Sainte-Marie, dans le Haut-Doubs. Il s’agissait d’une réunion regroupant éleveurs, agriculteurs, protecteurs du loup ainsi que les autorités publiques. « Une séance de travail intéressante qui en appelle beaucoup d’autres » a indiqué Jean-François Colombet, le préfet du Doubs. Avant d’ajouter que des mesures de protection vont être testées dans quelques semaines.

 

Ce lundi 3 octobre étaient réunis Jean-François Colombet, le préfet du Doubs, Jean-Paul Celet, préfet référent du Plan national "Loup et activités d'élevages", Serge Castel, préfet du Jura, et Cornelis Neet, directeur général de l'environnement du Canton de Vaud en Suisse. Mais aussi des représentants de l'agriculture ainsi que des associations environnementales.

« Les échanges ont été intéressants et respectueux. Un véritable esprit de concorde a régné durant toute la séance. Personne ne veut la fin du loup dans le massif. Et tout le monde veut préserver l’élevage. Donc on peut poursuivre ces deux objectifs, nous en sommes convaincus » a indiqué Jean-François Colombet.

De nombreux sujets ont été évoqués lors de cette réunion. Des explications ont été données concernant les spécificités du territoire et celles de l’élevage, avec les règles du cahier des charges des AOP fromagères, en particulier celle du comté, qui parfois peuvent être pénalisantes, contraignant à ne pas mettre en place certaines mesures. Il a aussi été fait un point précis sur la prédation avec l’Office Français de la Biodiversité. Une 3ème meute n’est pas scientifiquement établie, comme ce qui a été prétendu ces derniers jours. A l’heure actuelle, seulement celles du Risoux et du Marchairuz sont fixées. Et puis les débats ont été ouverts à la salle, où chacun a pu participer et apporter son témoignage.

« Il faut protéger l’élevage qui est très important pour notre territoire, qui produit de la richesse pour la ruralité. Et tout faire pour protéger les loups, parce que la France a posé sa signature, et la France respectera sa signature. L’espèce lupine doit naturellement être protégée » a soutenu Jean-François Colombet.  

La semaine dernière, le préfet du Doubs s’est rendu sur le terrain accompagné de Marie-Guite Dufay, la présidente de la région Bourgogne-Franche-Comté, ainsi qu’avec des associations de protection de l’environnement et des agriculteurs. Ensemble, ils sont tombés d’accord pour confier à l’Agence Régionale de la Biodiversité (un établissement public au sein duquel toutes les parties sont représentées), le soin de conduire dans quelques semaines, des expérimentations sur la façon de protéger les troupeaux sur le massif du Jura, impliquant toutes ses spécificités.  

Le préfet du Doubs, Jean-François Colombet, rencontrait des éleveurs ce vendredi à Chaux-Neuve dans le Haut-Doubs, après plusieurs attaques de loups survenues sur des bovins. Ces derniers réclament une réponse de l'État après l'attaque de plusieurs génisses cette semaine. Le préfet a expliqué sa volonté de trouver l'équilibre entre le soutien aux éleveurs francs-comtois et le respect de la loi française qui protège le loup. Il a également annoncé l'arrivée de louvetiers spécialisés en provenance de Gap. Cette brigade aura pour mission de former les agriculteurs concernés et d'effectuer des tirs de défense efficaces.

Dernièrement, 11 tirs de défense ont été autorisés dans le Massif du Jura mais aucun n'a pu être mené à bien. « Les opérations qui ont été mises en place n'ont pas permis de voir de loup. Soit il était hors de portée, soit il n’était pas en position d'attaque » a détaillé Jean-François Colombet.

Le loup reste à l'heure actuelle un animal protégé. En France, les tirs pour l’abattre ne se font que sur dérogation, uniquement lorsqu’aucune mesure ne fonctionne après une série d’attaques sur un secteur.

« S'il faut aller au tir de prélèvement, nous irons, mais il faut franchir les étapes les unes après les autres » a expliqué le préfet, tout en appelant les agriculteurs du Haut-Doubs à faire les choses dans l'ordre. « Si nous ne franchissons pas les étapes une par une, dans le cadre de l'état de droit, nous aurons des gens qui vont venir s'opposer au fait que nous cherchions à faire baisser la pression lupine. Et ça je n'en veux pas. Je ne veux pas de Notre Dame des Loups sur ce territoire, sinon ce sera compliqué, croyez-en mon expérience » a-t-il souligné, en faisant référence à la ZAD de Notre-Dame-des-Landes.

« On tue plus de 100 loups chaque année en France dès lors que la pression sur les élevages est trop intense », rappelle Jean-François Colombet. Par ailleurs, un nouveau plan loup devrait voir le jour l'an prochain. « C'est le moment de faire connaître les spécificités du Massif du Jura. On ne va pas faire un carton sur les loups, c'est hors de question, mais on va faire baisser la pression ».

 

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