Benjamin Locatelli à son atelier aux Verrières en Suisse
La culture Hip-hop n’a pas de frontières. Depuis son émergence dans les années 1970 à New York, précisément dans le Sud du Bronx, cette culture n’a cessé de s’étendre et de s’exporter à l’étranger. Issue de la jeunesse afro-américaine, elle a été caractérisée tout d’abord par cinq pratiques fondatrices : le rap, le beatbox, le “DJing”, la danse et enfin le graffiti. Par la suite, le Hip-hop ne s’est plus limité seulement à ces formes d’art et ces éléments se sont eux mêmes émancipés de cette culture. Ces dérivés peuvent être observés aujourd'hui à travers toute la planète et même localement chez nous, en Franche-Comté, terre de Hip-hop qui reproduit certaines pratiques mais est aussi innovatrice et influence de nombreux territoires et artistes.
Cette deuxième partie s’oriente sur la sphère visuelle du Hip-hop : le graffiti. Pour ce faire, la rédaction est allée à la rencontre de Benjamin Locatelli, artiste graffeur dans la région pontissalienne qui “ne met pas d’étiquettes” dans la définition de son art. Son expérience et ses œuvres sont particulièrement intéressantes pour illustrer comment la culture Hip-hop se diversifie et a donné naissance à d’autres cultures externes, effaçant les dogmes et les préjugés sur celle-ci.
Benjamin Locatelli dans son atelier : canapé peint et murs recouverts de bombes de peintures
Une définition du graffiti bien particulière
Benjamin a commencé le graff très tôt dans sa jeunesse, dès l’âge de “12-13 ans”, grâce à un ami venu de Sarcelles, en région parisienne, qui lui a fait découvrir cet art. L’artiste, franc-comtois d’origine, davantage coutumier des “balisages en forêt" que des graffs urbains, s’est mis à peindre, dessiner sur ses cahiers avec son camarade. Par la suite, il s'est attaqué à son environnement extérieur et s'est réapproprié les murs des villes pour transmettre son message. C'est ce message le plus important selon lui, et non la forme que prend le graff ou le lieu de réalisation de l'œuvre. C’est pourquoi l’artiste pontissalien refuse “la dualité entre graff légal et illégal”; ce qui compte c'est de transmettre un message d’amour, et non de haine. Si c'est la haine qui l’emporte, “le graff illégal sera toujours une porte de sortie en cas de dictature”.
“Un graffiti qui apporte un plus à la société”
C’est un “message positif, avec des valeurs qui apportent un plus à la société” que Benjamin Locatelli veut porter. Une volonté qui lui est venue “inconsciemment”, sans trop se poser de questions : “quand j’ai commencé, je signais avec peace and love sans vraiment m’en rendre compte”. C’est ce message qui définit avant tout le Hip-hop selon l’artiste pontissalien, même si celui-ci n’aime pas mettre des étiquettes et différencier les cultures puisque celles-ci "émergent d’autres mouvements, d’autres entités". Le socle commun du Hip-hop selon lui serait donc un message positif comme dans les sons de KRS one, qu’il prend en exemple, rappeur historique new-yorkais qui inspire beaucoup le graffeur haut-doubiste lors de ses sessions de création. Au-delà du message positif, Benjamin Locatelli revendique aussi un graff utile, bénéfique à la société. Il prend en exemple les pochoirs réalisés en Inde pour prévenir du vol d’enfants ou encore les graffs revendicatifs pour les droits des femmes dans les pays arabes. En Europe, en revanche, il déplore une vision parfois un peu trop “egotrip” du graffiti où l'enjeu “est de mettre son nom un peu partout”, c’est pourquoi il s’oriente vers des messages simples et “qui font du bien au cerveau”.
Une table de DJ à côté d'une machine de l'ancien silo à grain : entre culture Hip-hop et culture franc-comtoise
La collaboration avant tout
Benjamin Locatelli est un autodidacte, il s’est formé dans les ateliers et non dans des écoles d’art et il souhaite continuer dans cette voie atypique avec des collaborations en tout genre : “je veux mixer les générations, les idées, les projets parce qu’au final ça donne quelque chose de beaucoup plus riche”. C’est ce qu’a voulu porter l’artiste en créant successivement deux sites du KLAB, une entreprise collaborative qui a pour objectif la direction créative et la médiation culturelle. Ainsi, après avoir élaboré son atelier aux Verrières en Suisse en 2012, dans un ancien silo à grain, il a, l'an dernier, construit un autre projet cette fois sur le territoire français à Houtaud près de Pontarlier. Ces deux projets sont sensiblement différents mais ont tous deux pour vocation de mêler les genres, les disciplines allant de la gestion, de la communication à la pure conception. De plus, dans cette conception, le KLAB fait intervenir autant l’art, l’artisanat que le design. “Tout est lié” selon Benjamin Locatelli et l’enjeu de son entreprise est de casser les codes en les mélangeant. C’est pourquoi, sur le site des Verrières où il nous a accueilli, son ambition est d’étendre encore son atelier et d’inclure la culture Hip-hop, la culture urbaine directement sur le site, assez campagnard. Une de ses idées est par exemple de créer un skatepark en contrebas du bâtiment ou encore des bureaux dans des wagons abandonnés sur la ligne de chemin de fer longeant l'atelier.
Vue depuis l'atelier : Benjamin veut installer un skate park à l'endroit des troncs d'arbres au milieu et des bureaux dans des wagons sur la ligne de cheminr de fer à gauche
Le Hip-hop, un cycle éternel
Toutes ces initiatives contribuent à la promotion du Hip-hop en Franche-Comté. Benjamin Locatelli, qui fait souvent référence à des éléments locaux dans ses œuvres comme dans sa série sur l’absinthe, promeut une culture qui est globale. Une culture globale du Hip-hop qui peut s’appliquer à tous les univers, que ce soit son milieu d’origine dans le bronx new-yorkais, au Mexique, en Inde là où la culture Hip-hop se transmet davantage par l’illégal ou bien dans notre région franc-comtoise. Toute la planète est touchée car le Hip-hop est multiforme et qu’il se réinvente, comme le dit KRS one dans un des sons préférés de Benjamin Locatelli : Hip Hop Lives qui est une réponse à la chanson Hip Hop is dead d’un autre grand rappeur new-yorkais, Nas. Dans ce morceau, la phrase qui revient en forme de gimmick tout le long est “je suis de retour, tous les ans, je me réinvente” en personnifiant le Hip-hop. C’est cette réinvention que Benjamin Locatelli promeut, notamment par la transmission, avec de nombreux ateliers et rencontres réalisés avec des jeunes pour partager son “expérience mais aussi [ses] erreurs”.
Finalement, par cette transmission, Benjamin Locatelli contribue à maintenir en vie la culture Hip-hop, qui se diversifie et se décline en des milliers de branches. Cette culture est plus que de la musique et pour reprendre une dernière fois KRS one : “hip est la connaissance et hop le mouvement, la culture hip hop est éternelle”.
Le podcast de la rédaction / Benjamin Locatelli